Le Temps, Suisse
Jeudi 11 Février 2010
«Le bijou redevient intéressant»;
Albert Boghossian sort de l’ombre pour imposer son art
par Marie-Laure Chapatte
Le bureau d’Albert Boghossian témoigne sans conteste de son amour pour
les belles pièces. Sa collection personnelle, présentée un peu à la
manière d’un musée, recense des bijoux précieux qui traversent les
siècles. Dans son antre, au coeur de Genève, cet Arménien du Liban se
confie. A dose homéopathique et en toute modestie. Trente ans de
carrière lui ont toutefois soufflé cette envie: sortir de l’ombre.
Après avoir travaillé avec d’autres joailliers, il veut faire éclore
sa propre marque, Bogh-Art, créée en 2008.
Issu d’une famille de commerçants-bijoutiers, il rejoint d’abord son
frère au centre diamantaire à Anvers. En arrivant à Genève, il troque
quelque peu son profil de marchand de gemmes pour celui de créateur.
Il veut désormais laisser sa trace, sa signature. «Je travaille sur
les contrastes. Le mélange des couleurs, la manière de tailler les
diamants – ce qui leur confère des brillances différentes, l’audace
qui côtoie la sobriété, etc. Je veux étonner», insiste-t-il.
Autre trait: il se démarque par sa technique d’incruster les pierres,
en remettant une ancienne technique, complexe, au goût du jour. Mais
il regarde aussi vers l’avant avec l’utilisation de nouvelles
matières, comme les fibres de carbone ou d’aluminium.
Rejoint par ses deux neveux Roberto et Ralph, portant l’histoire
familiale à quatre générations, Albert Boghossian emploie une dizaine
de collaborateurs et réalise l’essentiel de ses pièces de haute
joaillerie dans des ateliers helvétiques. «La taille des corps de
pierre est-elle réalisée en Allemagne, précise-t-il. Mais les pièces
très onéreuses sont fabriquées dans le pays.» Il faut lire entre les
lignes que c’est une manière pour le créateur de ne pas les perdre de
vue.
Car si Bogh-Art possède une gamme accessible via la collection Inlay
(dès 6000 francs la bague), d’autres bijoux, parfois commandés par des
princesses pour leur mariage, se chiffrent à plusieurs millions de
francs. Le commun des mortels n’a alors que les yeux pour admirer
cette belle parure couleur ocre que le maître des lieux présente
fièrement.
La crise a-t-elle touché ses clients, «bien souvent des amis», qui
viennent d’Europe, de Russie et du Moyen-Orient essentiellement?
Point. Mieux, le dirigeant de 51 ans a constaté que cette période
tumultueuse avait servi son métier. «Les pierres, au-delà de
l’émotion, ont retrouvé leur valeur refuge. D’ailleurs, je pense que
cette tendance va s’affirmer dans les dix prochaines années, poursuit
Albert Boghossian. Investir dans la pierre deviendra intéressant en
termes de diversification des placements.»
S’il ne dévoile aucun chiffre, le joaillier compte sur l’exercice 2010
pour dynamiser sa présence internationale. Il participera aux foires Ã
travers le monde, comme Baselworld en mars, avant d’investir sa
nouvelle boutique à la rue du Rhône à Genève, d’ici à un an et demi.
Puis il compte ouvrir un deuxième point de vente dans une capitale
européenne ou en Asie. Pas de doute, entouré de sa tribu, Albert
Boghossian veut faire éclater son art. Et développer la marque
Bogh-Art, porte-drapeau d’un vécu, d’une histoire, d’un amour
incommensurable pour les «belles choses».