Les femmes, pilier du développement en Arménie
REVUE DE PRESSE
dimanche16 mai 2010, par Stéphane/armenews
Alors que les Arméniennes sont quasiment inexistantes au sein des
structures gouvernementales (5,3% de femmes étaient recensées au
Parlement en 2008), elles tentent de participer à la vie politique de
leur pays à travers le secteur non-gouvernemental.
Plus de quarante ONG créées par des femmes étaient enregistrées à la
fin des années 1990. Rencontre avec des femmes de différentes régions
d’Arménie, qui s’engagent au quotidien pour l’essor de leur pays et
leur bien-être personnel.
Le poids écrasant des femmes dans le secteur associatif
« Parmi les personnes fréquentant notre club, toutes sont des femmes »
déclare Nara[1], employée à l’American Corner de Gyumri[2], centre
chargé de diffuser l’apprentissage de la langue anglaise en Arménie.
Sortir le soir n’étant pas décent pour une jeune fille, les seuls
lieux de sociabilité restent l’université, les associations et les
clubs. « Je ne rate pas une seule rencontre du club car c’est une des
rares occasions, en-dehors de l’université, de rencontrer de nouvelles
personnes », témoigne une étudiante. Ce qui explique que les activités
caritatives et associatives restent majoritairement le domaine des
femmes. Nariné, la directrice de l’association Komitas Action Suisse
Arménie (KASA), spécialisée dans les formations à destination des
jeunes et des femmes, constate la même évidence : « Dans nos équipes à
Erevan et à Gyumri, nous ne comptons que des femmes, excepté un homme
! Les femmes sont davantage présentes dans les associations car elles
se sentent plus concernées par les thématiques du développement, que
ce soit la formation, le tourisme, le développement agricole ou les
droits civiques ; le salaire n’est pas leur principale motivation,
contrairement aux hommes. Les femmes veulent également exercer un
métier qui les intéresse, avec des responsabilités ».
Même si elles affichent de grandes compétences (51,6% des étudiants en
cycle supérieur sont des femmes), les femmes représentent 66% des
chômeurs enregistrés en Arménie. A poste équivalent, elles sont payées
à hauteur de 75% du salaire d’un homme et sont quasiment absentes des
postes de décision. Les ONG, mettant davantage en pratique les
concepts d’égalité entre les différents types de populations,
s’avèrent l’une des rares sphères dans laquelle les femmes ont accès à
des postes à responsabilité. Il est vrai, cependant, que peu de femmes
occupent un emploi salarié dans le domaine non-gouvernemental, tandis
que beaucoup y sont bénévoles, ce qui ne permet pas d’évaluer leur
présence de façon précise.
L’emploi des femmes arméniennes se situe essentiellement dans
l’agriculture (49,1% des femmes contre 39,3% des hommes), l’éducation
(14,1% des femmes contre 4,2% des hommes) et la santé (6,6% des femmes
contre 2,5% des hommes). Ces secteurs sont caractérisés par des
salaires particulièrement faibles, ce qui explique la désertion des
hommes au profit des femmes. Par ailleurs, la présence majoritaire de
femmes dans l’agriculture est due à l’émigration massive des hommes à
l’étranger (deux fois plus d’hommes que de femmes quittent l’Arménie
pour des raisons économiques) et ne signifie pas, pour autant, que les
femmes ont la jouissance des terres[3].
Le travail associatif, source d’épanouissement personnel
Quant aux capacités et à la motivation des femmes à trouver un emploi,
la présidente suisse de l’association KASA tire les conclusions
suivantes : « Les femmes arméniennes sont capables de beaucoup
d’ingéniosité et de créativité. Elles sont l’avenir de l’Arménie.
Ainsi, dans notre formation pour les chômeurs, il n’y a que des femmes
inscrites ». Bien sûr, le nombre élevé de femmes au chômage explique
leur participation massive à ce type de formations. Néanmoins, ce
n’est pas la seule explication pour la présidente de l’association
KASA : « Les hommes n’ont pas le sentiment qu’ils doivent mettre à
jour leurs connaissances, c’est une question de fierté. Les femmes
sont davantage prêtes à se remettre en cause ». Arminé, l’une des
participantes de cette formation, a décidé de s’inscrire car,
maintenant que les enfants sont grands, elle s’ennuie toute seule à la
maison. « Je me sens comme prisonnière à la maison, j’ai besoin de
sortir et de rencontrer d’autres personnes », confie-t-elle. Bien sûr,
un revenu complémentaire ne serait pas du luxe, mais ce sont d’autres
considérations qui ont décidé Arminé à s’inscrire : « Je suis bonne
cuisinière et je pense proposer des cours de cuisine arménienne pour
les touristes qui voyagent via l’association KASA ».
Grce au soutien de l’association suisse, Arminé accueille déjà depuis
quelques années des touristes en chambre d’hôte. Elle désire désormais
apprendre le français pour pouvoir communiquer avec eux. Arminé est
l’une des premières à Gyumri à avoir adhéré au projet de tourisme chez
l’habitant soutenu par KASA. « Je pourrais sans doute trouver un
travail à plein temps de femme de ménage ou de cuisinière, mais je
veux exercer un travail qui me plaise ». Actuellement, son activité de
chambre d’hôte ne fonctionne que l’été, mais Arminé espère qu’elle va
se développer.
Parfois, ce sont les nécessités économiques qui conduisent les femmes
à s’investir dans des activités de développement et, notamment, à
créer leurs propres associations, mais leur engouement ne tarde pas à
prendre le pas sur le reste. « Nous avons décidé de fonder notre
propre association de tourisme rural en collaboration avec notre ville
jumelle Romans-sur-Isère (Drôme, France), parce qu’à Vardenis il n’y a
aucune industrie », témoigne Anouch, l’une des fondatrices de
l’association Aregouni, du nom de la chaîne de montagne entourant la
ville de Vardenis[4]. « Pour le moment nous accueillons trois à quatre
groupes de touristes pendant l’été. C’est encore peu, mais cela me
procure un plaisir immense de partager ma culture avec des étrangers
». Anouch a d’ailleurs le projet de vendre des confitures et autres
produits faits maison, et a commencé la rédaction d’un livre de
recettes arméniennes en français. « Bien sûr, ce sont des activités
avant tout commerciales, mais je le fais surtout par plaisir, cela me
donne un but dans la vie ».
L’indépendance financière et personnelle comme leitmotiv
Alors que l’ge moyen du mariage pour les femmes en Arménie tourne
autour de 22-24 ans (données de 2007), il augmente sensiblement pour
les femmes actives. « Je ne suis pas prête à me marier avec le premier
venu. Je veux que mon mari soit ouvert d’esprit, qu’il soit mture »,
déclare Siranouche, employée du Centre culturel français de Goris[5].
Les familles exercent une forte pression sur les jeunes femmes
fraîchement diplômées afin qu’elles se marient au plus vite. « Le
diplôme est perçu par beaucoup de familles et de jeunes femmes
davantage comme un moyen de trouver un parti intéressant plutôt qu’un
atout pour décrocher du travail », souligne une étudiante. A tel point
que le diplôme est exhibé comme un trophée lorsque la fiancée présente
sa dot à la belle-famille. Mais pour les femmes célibataires ayant un
emploi, la situation est différente. « A la maison, je suis considérée
comme une vraie adulte parce que je ramène un salaire. Mes choix sont
davantage respectés », affirme une employée de l’OSCE[6] à Erevan. Et
de renchérir : « J’ai beaucoup lutté pour faire accepter à mes proches
mon désir de louer un appartement seule, car en Arménie cela est
considéré comme une honte pour une fille célibataire. Si je n’avais
pas eu mon indépendance financière, cela aurait été impossible ».
Autre différence majeure, alors que les femmes actives prennent le
temps de choisir leur conjoint, les jeunes femmes sans emploi se
marient souvent avec le premier homme qui les demande en mariage. «
Une femme célibataire et sans emploi se retrouve tout en bas de la
hiérarchie familiale et est souvent considérée comme une mineure. Pour
les jeunes filles, se marier c’est acquérir un certain statut. Les
femmes célibataires mais occupant un emploi sont moins promptes à se
marier car le salaire qu’elles ramènent leur donne une légitimité aux
yeux de la famille », constate une employée de KASA. Une jeune femme
fraîchement diplômée de l’université nous affirme qu’elle est trop
jeune pour se marier et cherche n’importe quel travail afin d’y
échapper. Bien qu’elle soit diplômée en langue, elle travaille depuis
quelques semaines dans un café Internet. « Ce n’est pas le travail de
mes rêves mais avec l’argent gagné, je pourrai partir en Europe faire
un stage ou du volontariat. Et puis, maintenant que j’aide mes parents
financièrement, ils ne me pressent plus de me marier comme auparavant
».
L’influence du modèle étranger
La création d’associations en Arménie étant souvent l’`uvre
d’organisations internationales ou de membres de la diaspora[7], les
Arméniennes sont amenées à côtoyer d’autres mentalités et m`urs. « Je
me souviens qu’une fois, une jeune fille arménienne s’est extasiée
devant un étranger parce qu’après avoir fini de manger, il avait
déposé son assiette dans l’évier ! Un homme arménien aurait tout
simplement quitté la table », raconte une expatriée. De fait, de
nombreuses jeunes femmes fréquentant les associations et autres
organisations caritatives se marient par la suite avec des étrangers.
« C’est un peu comme si, à force de fréquenter des étrangers, les
Arméniennes ne peuvent plus correspondre au modèle traditionnel
arménien et aspirent à autre chose », affirme une employée suisse à
l’attention de ses collègues. « Et comme les hommes arméniens évoluent
beaucoup moins vite que les femmes, il y a un décalage ». Une de ses
collègues arméniennes, aujourd’hui mariée à un Français, raconte
qu’elle ne supportait plus la jalousie et la suspicion de son
petit-ami arménien : « Les hommes ont du mal à comprendre que nous
ayons goûté à l’indépendance au sein de notre travail et que,
nécessairement, cela influence notre comportement dans notre vie
sociale et familiale. Nous voulons plus de liberté ».
L’émergence de nouveaux modèles n’est pas toujours vécue aussi
sereinement chez celles qui sont avides de changements. La présidente
de l’association KASA se souvient : « J’avoue avoir été bouleversée
lorsqu’une de mes employées a éclaté en sanglots, parce qu’elle
pensait qu’elle avait gché sa vie en ne faisant qu’être épouse et
mère ». Par ailleurs, le mariage avec des étrangers est souvent suivi
d’un départ vers le pays de l’époux, ce qui crée un véritable
déchirement. « Je n’ai jamais voulu quitter mon pays et ma famille.
Cela a été un crève-c`ur de suivre mon mari en France », confie une
jeune femme, « mais je savais que je ne pourrais jamais retrouver ce
genre de relation homme-femme en Arménie ».
La difficile pérennité des activités soutenues par les femmes
La présence majoritaire des femmes au sein des activités associatives
n’est pas sans poser quelques problèmes, puisque traditionnellement,
suite à un mariage ou à une maternité, la femme est tenue de rester à
la maison. « La pérennité de nos activités associatives en Arménie est
difficile à assurer car elle repose presque uniquement sur les femmes.
Or, lorsque ces jeunes femmes se marient, la plupart restent à la
maison sur demande expresse du mari et de la belle-famille », remarque
une ancienne employée de la mairie de Romans, en France, chargée de la
coopération décentralisée avec la ville de Vardenis. Cela reste
surtout vrai dans les régions, même si la présidente de l’association
KASA, à Erevan, admet que, dans son centre de formation, aucune
directrice n’est restée en place plus de deux ans. « C’est compliqué
de devoir chaque année intégrer de nouveaux employés ou affecter les
anciens à de nouveaux postes. Nous perdons beaucoup de temps à
réorganiser l’équipe », indique-t-elle. « Mais par ailleurs, les
femmes sont plus fidèles et reconnaissantes, et c’est une des raisons
pour lesquelles, après leur maternité, elles reviennent travailler
chez nous. Parce qu’elles apprécient les valeurs de notre association
et l’ambiance de travail, elles continuent de faire partie de
l’équipe, même si les salaires restent modestes. Nous les payons en
moyenne 70.000 drams par mois, soit 140 euros, ce qui équivaut à un
salaire moyen en Arménie »[8].
Par ailleurs, beaucoup de femmes ayant pris goût à leur travail sont
dans l’incapacité de retourner définitivement à la maison. « La
naissance de mon enfant est un de mes meilleurs souvenirs mais, après
ma maternité, j’avais le besoin de retourner au travail, de revoir mes
collègues et de me sentir utile en-dehors de la sphère familiale »,
révèle l’une des employées de KASA. Cependant, sans la compréhension
et le soutien de son mari, cela n’aurait pas été possible. Interrogée
sur cette instabilité des femmes au travail, elle nous livre sa pensée
: « Beaucoup de femmes actives doivent encore s’occuper des enfants et
des tches ménagères une fois rentrées à la maison. Même si la
belle-mère ou d’autres femmes de la famille peuvent s’en charger,
elles ne le feront pas nécessairement car on considère que c’est le
rôle de l’épouse. Malheureusement, il y a encore beaucoup de pression
sur les femmes ». Le chômage pour raison familiale concerne 82,6% des
femmes sans emploi, contre seulement 17,4% des hommes[9].
Par Marie PASCAL*
Le 15/01/2010
REGARD SUR L’EST
[1] Tous les prénoms ont été modifiés.
[2] Gyumri est la deuxième ville du pays par sa population (146.969
habitants), ainsi que la capitale de la région de Shirak, située au
nord-ouest du pays, à la frontière avec la Géorgie et la Turquie.
Autrefois florissante, la ville a périclité suite au tremblement de
terre de 1988 qui a détruit 60% des infrastructures.
[3] Source : Service statistique national de la République d’Arménie, 2009.
[4] Vardenis est une petite ville de 12.679 habitants située au sud du
lac Sevan. Ses seules ressources sont la mine d’or, fermée à la chute
de l’URSS, et l’agriculture.
[5] Goris est la capitale de la région de Syunik, au sud de l’Arménie.
Etablie sur la route menant au Karabagh, Goris est également le point
de départ pour des excursions touristiques dans la région.
[6] Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe.
[7] Au cours des 16 dernières années, 2 milliards de dollars ont été
mis à disposition par les seuls Etats-Unis. 85% de cette somme a été
consacrée à l’aide humanitaire.
[8] En région, le salaire moyen mensuel est d’environ 80.000 drams
(150 euros), alors que dans la capitale il s’élève à 110.000 drams
(210 euros).
[9] Source : Service statistique national de la République d’Arménie, 2009
* Chargée de coopération décentralisée pour la commune des Houches
(Haute-Savoie) à Sotchi, Fédération de Russie.
Photos : Angéline Deflandre ()
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress