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Le Nouvel Observateur
Semaine du Jeudi 21 avril 2005

Un regard turc sur le génocide

Taner Akçam : dans la peau du bourreau…

par Ursula Gauthier

Peut-être est-ce sa naissance à Kars, au c~ur de cette Arménie
historique devenue turque moyennant la liquidation de ses habitants.
Ou bien l’année qu’il a passée dans les geôles, torturé pour avoir
osé parler des Kurdes. Ou encore le refuge trouvé dans une Allemagne
perpétuellement tendue dans l’effort pour comprendre son histoire…
C’est à Hambourg que le sociologue Taner Akçam se met à regarder en
face le passé de son pays – la violence, la torture, le nationalisme.
Il y découvre sa mission d’historien: comprendre de l’intérieur, dans
la peau du bourreau, l’autre visage du génocide des Arméniens. Dans
«De l’Empire à la République: nationalisme turc et génocide arménien»
(à paraître aux Editions l’Aventurine), il montre que le génocide est
la pierre angulaire sur laquelle s’est bâtie la Turquie moderne. Que
l’assentiment au crime prend sa source dans un sentiment
d’infériorité, de victimisation, de peur panique à l’idée de perdre
l’Empire, associé à une mentalité d’assiégé et à l’exaltation stérile
du passé. C’est cet état d’esprit qui a poussé les Turcs à voir les
Arméniens non comme des concitoyens, mais comme l’ennemi de
l’intérieur. C’est lui, aujourd’hui, qui conditionne l’amnésie
collective.
Aussitôt le forfait commis, la Turquie a prétendu repartir de zéro
grâce à la révolution kémaliste. Elle a refoulé le carnage qui lui a
permis d’encaisser le bénéfice (l’Anatolie ethniquement nettoyée)
sans en payer le prix. Elle révère des héros fondateurs qui ont les
mains pleiPublicité

nes de sang. Aujourd’hui comme hier, elle veut être reconnue comme
puissance tout en craignant pour sa survie. Pour Akçam, fervent
partisan de la reconnaissance du génocide et de l’entrée dans
l’Europe, seule la marche vers une vraie démocratie permettrait à la
Turquie de repenser le pacte national condamné à être pulvérisé par
l’aveu du crime. Installé désormais aux Etats-Unis, il participe
depuis 2000 à une réunion annuelle d’intellectuels turcs et arméniens
qui donne corps au dialogue. «Nous acceptons tout chercheur qui admet
l’existence de tueries massives et qui les condamne moralement, dit
Akçam. Nous n’invitons donc pas de négationniste. Imagine-t-on un
débat entre juifs et nazis?»

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