Luttons contre le fascisme qui vient par un sursaut citoyen

REVUE DE PRESSE
Luttons contre le fascisme qui vient par un sursaut citoyen

Si l’on veut dissuader les quelques centaines de candidats au djihad
de quitter la France et de partir perdre leur me en Syrie, il faut
d’abord leur dire que ce choix éventuel est celui du fascisme, du
totalitarisme et de la barbarie, et que la liberté n’est pas du côté
de cet > (Daech) qui affirme vouloir imposer son
islam personnel au monde entier et rétablir un califat dont la plupart
de ses membres ignorent tout, sauf qu’il régna sur un territoire
immense remontant jusqu’au sud de l’Espagne. Oublieux des conditions
réelles de son extension, et principalement de la tolérance
philosophique et religieuse qui l’accompagna, à Grenade ou à Cordoue
comme au Maroc ou en Algérie, ceux qui prétendent le faire revivre
n’en sont pas les héritiers, mais les enfants d’Hitler et de
Mussolini. Dire cela, ce n’est pas jeter l’anathème et fermer les yeux
sur les conditions objectives qui peuvent permettre d’expliquer leur
geste, mais c’est inviter ceux qui les entourent à sortir de leur
mutisme ou de leur prudence et, comme dans les années 1930, à prendre
conscience que seule une levée en masse de la jeunesse et des adultes
contre ces avatars du fascisme que constituent tous les
fondamentalismes, catholique comme musulman ou encore hindouiste,
permettra de les réduire.

CRIMES CONTRE L’ESPRIT

Au nom du respect dû aux religions, on interdit aujourd’hui aux
artistes de les mettre en scène, et toute prise de distance avec elles
relève du >, terme commode qui écarte toute discussion.
Au nom d’une conception étrange de la liberté humaine, on prétend,
dans certains pays, punir de la peine de mort ce que l’on nomme l’ >, c’est-à-dire le droit fondamental d’un être humain de
renoncer en conscience à une religion imposée à la naissance au
bénéfice d’une autre, ou encore d’un agnosticisme et d’un athéisme qui
semblent redevenus des maladies honteuses. Si nul ne songe plus à
interdire les religions, on ne peut que s’effrayer de ces résurgences
d’une intolérance que l’on croyait l’apanage du passé et des
totalitarismes qui n’acceptaient précisément ni les différences entre
les êtres humains ni les conceptions philosophiques opposées aux
leurs. Rappeler ces quelques évidences nous paraît indispensable en
cette fin d’année 2014 qui vit, en France, les opposants au mariage
pour tous prétendre conserver pour eux seuls le bénéfice d’une loi qui
n’enlève évidemment rien aux hétérosexuels qui étaient les seuls,
jusqu’ici, à pouvoir s’en réclamer. Si nous ne sommes plus capables de
comprendre que la tolérance fut l’un des apports majeurs de l’esprit
des Lumières qui souffla en Europe dans la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, et que le nazisme comme le fascisme italien ainsi que le
franquisme ou les dictatures qui fleurirent dans leur entourage au
Portugal, en Hongrie ou en Roumanie entendirent rompre avec tout ce
qui rappelait l’idéologie des droits de l’homme et les grands
principes de liberté, d’égalité et de fraternité portés par la
Révolution française, alors nous ne pourrons nous opposer au
fondamentalisme prôné par l’Etat islamique en Irak et en Syrie.

Oui, le fascisme est à nos portes. Il est même dans nos cités, et
nulle complaisance ne doit accompagner les tentatives destinées à
contraindre des citoyens, quel que soit leur ge, à adopter une tenue
vestimentaire, un régime alimentaire ou à aller prier au temple, à la
synagogue, à l’église ou à la mosquée, s’ils ne l’ont pas décidé
eux-mêmes.

Affirmer très haut que ces pratiques sont, non seulement des délits,
mais des crimes contre l’esprit, c’est remettre les religions à leur
exacte place, celle du for privé qui, en démocratie, ne saurait
s’installer dans l’espace public ni, encore moins, le saturer. C’est
aussi réaffirmer que l’esprit critique et la capacité à introduire le
doute dans son raisonnement sont les vertus mêmes qui fondent
l’activité scientifique et qu’elles ne peuvent disparaître, sauf à
craindre une régression qui ferait revenir l’humanité plusieurs
siècles en arrière.

Le beau film d’Ettore Scola Une journée particulière nous rappelle le
danger sécrété par les régimes, politiques ou religieux, qui font de
l’uniformité la règle et envoient en exil ou vers la mort ceux qui ne
marchent pas au même rythme que la foule. Le livre de Jonathan Littell
Les Bienveillantes, prix Goncourt 2006, fait d’un intellectuel nazi le
personnage principal de la fiction, balayant ainsi l’idée que seuls
des brutes ou des esprits faibles purent adhérer à cette idéologie
qui, elle aussi, prétendit chasser de la cité toute forme
d’hétérodoxie.

En Italie, on utilisa l’huile de ricin et le gourdin contre les
opposants, la torture systématique puis les camps d’extermination en
Allemagne. En Syrie et en Irak, les yézidis sont traqués et éliminés
comme le furent juifs et Tziganes pendant la deuxième guerre mondiale,
ou Arméniens de Turquie en 1915 et Tutsis du Rwanda en 1994.

Ailleurs, au Nigeria ou en Afghanistan, on brûle des écoles pour être
sûr que les filles ne déchireront pas un jour le voile de l’ignorance
qui assure la domination de leurs pères sur leurs mères ou de leurs
frères sur leurs soeurs.

Il est donc grand temps de réaffirmer ces rares vérités et de redire
avec force que le fascisme ne passera pas si les citoyens en décident
autrement et si chacun consent à appeler un chat un chat et un
djihadiste façon Al-Qaida ou Daech un assassin de la liberté et un
fasciste du XXIe siècle.

Jean-Yves Mollier est professeur d’histoire contemporaine à
l’université de Versailles- Saint-Quentin-en-Yvelines

samedi 3 janvier 2015,
Stéphane (c)armenews.com