Haut-Karabagh: "Avec l’Azerbaïdjan, les relations de confiance n’existent pas"

L'Express, France
26 nov 2017


Propos recueillis par Clément Daniez, 

L'Express s'est entretenu avec Bako Sahakian, le président du Haut-Karabagh. Une république auto-proclamée située sur le territoire de l'Azerbaïdjan, non-reconnue par la communauté internationale.

Quand les armes se tairont-elles? Des combats de tranchées ont encore lieu, sporadiquement, entre les armées de l'Azerbaïdjan et du Haut-Karabagh, une région qui a souhaité s'en détacher lors de l'éclatement de l'URSS, avec le soutien armé décisif de l'Arménie, que Bakou reconnaît comme seul belligérant.  

La guerre pour le contrôle de ce territoire, peuplé majoritairement d'Arméniens, a fait 30 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés. Et depuis le cessez-le-feu de 1994, rien n'a changé, la signature d'un traité de paix se faisant toujours attendre – cette république auto-proclamée n'est reconnue par aucun Etat membre de l'ONU. 

Une signature qui ne devrait pas intervenir tout de suite considère le président du Haut-Karabagh, Bako Sahakian. De passage en France cette semaine pour le lancement des "Journées de l'Artsakh", L'Express l'a rencontré. 

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré cette semaine que les négociations pour la paix entre le Haut-Karabagh et l'Azerbaïdjan "ne se termineront pas de sitôt"… 

Bako Sahakian: Je préfère des analyses réalistes comme celle-ci aux déclarations de haut-responsables politiques de tel ou tel pays annonçant que la solution est proche. Mon pays est la partie la plus intéressée pour une paix définitive dans la région. Le seul fait que l'Artsakh (nom officiel du Haut-Karabagh depuis un vote en 2017) ne soit pas reconnu par d'autres pays est pénalisant pour notre population.  

Pour arriver au début de l'établissement d'une paix, il faut établir des relations de confiance entre les parties. Ce qui n'existe pas du tout aujourd'hui. En tout cas, l'accord obtenu avec les médiateurs du conflit, qui concernait la mise en place de mécanismes d'enquête pour éviter toute violation du cessez-le-feu, n'a pas été respecté. Il aurait pu influer d'une manière positive sur l'établissement d'une relation de confiance et permis qu'on ne s'entre-tue plus. 

Qu'attendez-vous de la France, dans le groupe de Minsk avec les Etats-Unis et la Russie, chargé de faciliter une issue pacifique du conflit? 

La France est un pays ami pour les Arméniens. Et notre première volonté, dans le contexte du conflit, n'est pas que la France devienne un ennemi de l'Azerbaïdjan.  

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Mais en même temps, nous ne souhaitons pas que des relations s'établissent entre l'Azerbaïdjan et un certain nombre de responsables politiques sur la base de mensonges, de corruption et de fausses valeurs. Cela se fait en grande partie au détriment de notre pays. 

L'Azerbaïdjan a acheté beaucoup d'armements sophistiqués ces dernières années. Craignez-vous une attaque d'envergure? 

Que ce soit avant l'achat de ces armes sophistiquées ou après, l'Azerbaïdjan a toujours été dans la logique de les utiliser contre le Haut-Karabagh. Elle ne s'en est jamais cachée et son président, notamment, profère assez régulièrement des menaces. Quand il y a eu l'agression azerbaïdjanaise de quatre jours en 2016 (110 morts, dont des civils, de part et d'autre), une partie de ces armes a été utilisée contre le Haut-Karabagh. 

Une grande partie de ces armes a été vendue par la Russie, pourtant partenaire stratégique de l'Arménie et amie du Haut-Karabagh. Vladimir Poutine ne joue-t-il pas un double-jeu? 

L'Azerbaïdjan en achète également à Israël, la Biélorussie, l'Ukraine et d'autres pays. L'occasion nous a été donnée à plusieurs reprises de dire que ces ventes à l'Azerbaïdjan sont inadmissibles, sachant qu'il promet leur utilisation contre le Haut-Karabagh. Il y a des négociations auxquelles l'Azerbaïdjan participe, mais parallèlement, il ne cesse pas les menaces d'une reprise de la guerre. C'est un pays qui se durcit, dont on connaît la situation en matière de liberté [en régression]. Nous considérons que cette menace n'est pas uniquement contre les Arméniens, mais aussi contre la communauté internationale dans son ensemble. 

Des canons arméniens, pointés vers l'armée de l'Azerbaïdjan, le 8 avril 2016, au Haut-Karabagh.

REUTERS

Le régime en place en Azerbaïdjan, incarné par le clan Aliyev, vous paraît-il durable? 

L'actuel président azerbaïdjanais (Ilham Aliyev) a hérité son pouvoir de son père (Heydar Aliyev, président de 1993 jusqu'à sa mort en 2003 à 80 ans). Récemment, il a nommé son épouse comme vice-présidente du pays (Mehriban Aliyev). Cette famille veut rester coûte que coûte au pouvoir. Je parie que quand le fils aura l'âge de prendre le pouvoir, il trouvera une fonction qui garantira à cette famille de le conserver. 

La restitution à l'Azerbaïdjan de certains districts qui ne sont pas peuplés par des Arméniens vous semble-t-elle, à terme, envisageable?  

Ce n'est évidemment pas la première fois que l'on me pose la question. Voici ma réponse: l'Azerbaïdjan a été artificiellement créé au début du XXe siècle sur une partie de notre territoire, le Haut-Karabagh, sur décision du parti bolchevique. Je suis en désaccord avec l'affirmation d'une "occupation" par l'armée du Haut-Karabagh. Le conflit qui a surgi entre l'Azerbaïdjan et le Haut-Karabagh a été la conséquence de la politique des bolcheviques. Nous ne pouvons pas trouver de solution si on continue à réfléchir comme eux. 

Et concernant les ex-zones de peuplement azéri sous votre contrôle? 

Le malentendu existe avec la communauté internationale parce qu'elle met la question des frontières et du statut des territoires au centre des solutions. Pourquoi, dès lors, ne pas parler des territoires peuplés d'Arméniens et qui ne le sont plus, à la suite de nettoyage, comme à Chahoumian, dans la partie nord du Haut-Karabagh (sous contrôle azéri depuis la guerre). Nous sommes d'accord pour discuter des territoires évoqués, mais il faudrait discuter de l'ensemble de ces territoires d'une manière globale. 

La ville fantôme d'Agdam, à présent sous contrôle arménien, a compté près de 30 000 habitants, majoritairement azéris. Ici le 29 octobre 2009.

REUTERS/David Mdzinarishvili

Quelle est votre position concernant la Catalogne, dont l'autorité régionale a vainement proclamé son indépendance? 

Mon pays exprime sa solidarité envers tous les peuples qui luttent pour leur liberté et leurs droits. Certains processus sont irréversibles, à partir du moment où tout un peuple aspire à la même chose. S'il y a des divergences de points de vue, il faut les régler de manière pacifique. La guerre ne règle rien. Ce que je souhaite au peuple catalan, s'il souhaite, sur la base de son droit à l'autodétermination, changer de statut, c'est qu'il le fasse d'une manière pacifique. 

Pas question donc de reconnaître à ce stade une indépendance catalane? 

L'établissement de relations normalisées entre les Catalans et l'Etat espagnol est dans l'intérêt des deux entités. C'est à eux de s'entendre. S'ils ne s'entendent pas, nous pourrions voir, en fonction des relations que nous pourrions établir, qu'elle sera notre position. Mais je ne suis pas favorable à une reconnaissance par principe. Ce n'est que déclaratif et cela n'apportera rien de substantiel.