24 avril • Sevag Balıkçı : Ils ne nous ont pas permis d’oublier

Kedistan
25 avr. 2018

<img width="600" height="315" src=”"http://www.kedistan.net/wp-content/uploads/2018/04/sevag-balikci.jpg" class="attachment-post-thumbnail size-post-thumbnail wp-post-image" alt="Sevag Balıkçı" srcset="http://www.kedistan.net/wp-content/uploads/2018/04/sevag-balikci.jpg 600w, http://www.kedistan.net/wp-content/uploads/2018/04/sevag-balikci-500×263.jpg 500w, http://www.kedistan.net/wp-content/uploads/2018/04/sevag-balikci-230×121.jpg 230w" sizes="(max-width: 600px) 100vw, 600px" />

“Nous l’avons envoyé au service militaire. Nous n’avons pas pensé qu’il y aurait quelque chose de travers. Le 23 avril, une telle peur ne nous a pas traversé l’esprit. Mais sans doute, ce 24 avril, était un avertissement. Sevag, ou un autre jeune arménien devait être tué ce jour là ! L’endroit et le timing étaient bons pour Sevag. Pas d’autres jeunes arméniens, pas une seule personne pour témoigner, au milieu de la montagne, tous les éléments étaient là”. Dans le livre de Esra Açıkgöz et Hakan Alp, “Nous sommes des êtes humains mon enfant”, la mère de Sevag Şahin Balıkçı, Ani, dit ceci… Un 24 avril 2011. Si un 24 avril, dans une caserne, un Arménien meurt, personne ne peut nous faire croire à une “blague”, ni à “une balle accidentelle”.

Lorsqu’on prévient la famille d’un soldat aménien de la mort de leur fils, en expliquant qu’il est mort “en se taquinant avec son ami, par une balle accidentelle” comme pour des dizaines de milliers de jeunes kurdes, alévis, socialistes, dans des casernes de la République de Turquie, son père répond “un gavur1Mécréant, infidèle (péjoratif) est mort êtes-vous heureux ?” Les Kurdes, les Alévis, les socialistes, les Arméniens, disent après le meurtre de leurs enfants, par des auteurs connus, “nous n’oublierons pas !”. Non, nous n’avons pas oublié. En réalité, ils ne nous ont pas permis d’oublier. Oublier veut dire se mettre face à face (faire les comptes.. l’_expression_ m’échappe). Oublier veut dire panser les blessures. Oublier veut dire, vivre ensemble, en paix avec toutes les différences. Or, l’Etat “sacré” que la République de la Turquie a fondé sur des bases “d’unicité”2 Langue unique, religion unique, nation unique, drapeau unique… continue à prendre des vies en sacrifice.

Le 24 avril est pour les Arméniens, la fête de Pâques. Sevag et sa famille tiennent une conversation téléphonique, qui sera la dernière. “Fils, nous avons déjà envoyé tes gâteaux [de Pâques]” lui disent les parents. Ni Sevag, ni sa famille ne pensaient que ce seraient les derniers gâteaux que Sevag mangerait. Garbis Balıkçı entend la voix de son fils. “Regardez donc sur l’ordinateur, il n’y aurait pas une homonymie ?” Personne ne pense à des mauvaises choses. “J’ai pensé qu’il avait reçu un mérite, quelque chose comme ça”… Bien sûr qu’ils savent ce que cela veut dire de vivre en Turquie en tant qu’Arménien, mais malgré cela, il n’y songent pas  “Oui, Hrant était quelqu’un. Il était un journaliste. Pour tout le monde, il parlait trop. Maintenant on sait qu’il disait vrai. Mais trop tard ! Sevag était personne. Un fils de famille ordinaire. Mais un avertissement a été donné, c’est évident…”

Sevag était un arménien.
96 ans après le génocide arménien de 2015, une toute première fois, il devait y avoir une commémoration dans un lieu public en Turquie. La première fois, les peuples allaient pouvoir faire leur deuil ouvertement. La réponse de l’Etat à cela, fut de reprendre un Arménien de plus de nos bras. Le système “qui fait d’un enfant un assassin”, allait donc dire, je suis toujours là, bien présent.

Les destructions et massacres en Anatolie et en Mésopotamie, continuent… L’an 1915 ne se laisse pas désirer.

Hrant Dink disait dans son dernier article publié le 19 janvier 2007 :

[…] Quant à l’idée de vivre dans un pays européen, ce n’était pas du tout ma tasse de thé. Chaque fois que je vais en Occident pour quelques jours, je suis quelqu’un qui se dit, crispé d’ennui dès le quatrième jour, « j’espère que ça sera fini bientôt et que je pourrais rentrer », tellement mon pays me manque . Qu’aurais-je donc fait dans ces pays ?
Le confort, je ne suis pas fait pour !
De toute manière, quitter des “enfers bouillonnants” pour des “paradis aménagés”  n’est vraiment pas pour moi.
[…] Nous allions donc rester et résister.

Hrant est resté. Il a lutté jusqu’à la dernière minute de sa vie, pour une vie des peuples, ensemble, libres et égaux.

La justice, l’égalité ne peuvent exister selon certains et seulement pour certains. Si un soldat arménien, peut être tué par une balle, dans une caserne un beau 24 avril, si un journaliste arménien peut être tué, tiré dans le dos un 19 janvier, dans ce pays, la vie de personne n’est en sécurité. Et cela est le mieux su par les “autres” de ce pays, les Kurdes, les Alévis, les socialistes… Le fait de le savoir n’est pas suffisant. Le fait de dire “pas d’oubli” n’est pas suffisant. Au contraire, il faudrait pouvoir oublier. Et cela n’est possible qu’en se mettant face à face et en construisant un vivre ensemble avec nos différences.

Sans construire les vies égales et libres, ensemble, nous ne pouvons oublier les souffrances du passé. Tant que nous ne pouvons pas les oublier, personne ne peut être libre dans ce pays. Et cela ne change rien, quelque soit l’endroit au monde, où nous vivons.