CHIRAC AU NOM DE LA MEMOIRE
Dominique Garraud
Charente Libre
2 octobre 2006
L’enjeu principal n’est pas de contraindre la Turquie a faire
repentance, mais bien de l’amener a scruter sans complaisance les
pages noires de son Histoire
Pour la première visite officielle d’un President francais dans la
jeune republique d’Armenie, un geste fort de Jacques Chirac etait
attendu. Il est venu lors d’une conference de presse, lorsque
la question lui fut posee de savoir si pour entrer dans l’Union
europeenne, la Turquie devait d’abord reconnaître le genocide
armenien. Honnetement, je le crois, a repondu le chef de l’Etat,
soulignant qu’a l’instar de l’Allemagne qui a reconnu la Shoah, une
nation se grandit de reconnaître les erreurs qu’elle a pu commettre.
Outre que la comparaison avec la Shoah risque d’etre fort mal prise
a Ankara où les autorites nient toujours la realite du genocide de
1915 et son bilan de 1,5 million de morts, Jacques Chirac ne pouvait
guère aller plus loin que la delivrance d’un conseil. La Commission
europeenne et la semaine dernière le Parlement europeen ont en effet
formellement exclu que la reconnaissance par Ankara du genocide
armenien constitue un prealable a l’adhesion de la Turquie. Sans
incidence directe sur le dossier turc vis-a-vis de Bruxelles, le coup
d’eclat de Jacques Chirac a Erevan a une double portee, de politique
interieure a court terme, a long terme sur le plan des valeurs
partagees de l’Europe politique. Le soutien sans reserve apporte
au respect de la memoire armenienne gomme une image chiraquienne
turcophile entretenue par son approbation d’une adhesion a terme
de la Turquie. Il lui permet aussi de justifier son opposition a un
amendement socialiste prochainement examine a l’Assemblee preconisant
l’ajout de peines penales pour negationnisme dans la loi francaise
de 2001 qui reconnaît formellement l’existence du genocide armenien.
Dans la lignee de sa reconnaissance de la responsabilite de l’Etat
francais de Vichy dans la deportation des juifs lors de son discours
de 1995 au Vel d’Hiv, Jacques Chirac montre un souci salutaire d’un
devoir de memoire et d’histoire qui ecarte de toute exploitation
politicienne des tragedies comme le genocide armenien.
Plus qu’une mise en garde a la Turquie, la declaration d’Erevan est
un encouragement a destination des autorites d’Ankara, pour qu’elles
rompent avec des decennies de negation en poursuivant resolument
le chemin qui les a recemment conduites a envisager la mise sur
pied d’une commission mixte turco-armenienne d’historiens sur les
massacres de 1915. L’enjeu principal n’est pas de contraindre la
Turquie a faire repentance, mais bien de l’amener a scruter sans
complaisance les pages noires de son Histoire condamnables a l’aune
des valeurs europeennes qu’elle pretend vouloir partager. Ces valeurs
doivent conduire la Turquie a admettre qu’etre Europeen signifie aussi
reconnaître pleinement son voisin armenien et les douleurs d’un passe
qui ne peut etre passe sous silence.
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