Le Figaro, France
20 janvier 2007
Fethiye Cetin : "Les extrémistes veulent semer le trouble avant la
présidentielle"
Propos recueillis par STÉPHANE KOVACS
AVOCATE turque de renom, Fethiye Cetin, 56 ans, était le défenseur du
journaliste arménien Hrant Dink. Militante des droits de l’homme,
elle a écrit, en 2004, Le livre de ma grand-mère * , pour raconter
que son aïeule, née arménienne, avait été convertie de force au
moment des massacres de 1915. Un témoignage brut, sans volonté de
propagande, qui a suscité de vives polémiques en Turquie, où il a
cependant été réédité cinq fois. Fethiye Cetin était hier à Paris
pour présenter son ouvrage, à l’invitation d’AYP FM, la radio de la
communauté arménienne d’Île-de-France.
LE FIGARO. – Quel est le contexte de cet assassinat ? Y a-t-il une
résurgence du nationalisme en Turquie ? Pourquoi l’affaire arménienne
provoque-t-elle tant de telles crispations actuellement ? Fethiye
CETIN. – Nous approchons de l’élection présidentielle turque, qui
aura lieu au printemps prochain. Les différents courants politiques
veulent semer le trouble et créer une situation de conflit avec le
gouvernement islamiste. L’ « État profond » , cette structure occulte
dirigée par les militaires, est très influent en ce moment et essaie
de faire pression sur le gouvernement. L’idée des groupuscules
extrémistes est de remettre en question l’image de la Turquie dans le
cadre de sa candidature à l’Union européenne. Hrant Dink était le
symbole de l’ouverture du dialogue arméno-turc. Hrant Dink venait de
recevoir de nombreuses menaces de mort écrites, que j’ai transmises à
la justice, il y a tout juste 48 heures. Il avait même écrit, dans
son journal bilingue turco-arménien Agos , plusieurs articles pour
expliquer la manière dont il serait assassiné : il était persuadé
qu’il serait victime d’un attentat ! Vous-même, vous sentez-vous
menacée ? Pas du tout, bien que je me sois affichée comme le
défenseur de Hrant Dink et d’un certain nombre de contestataires. Je
n’ai d’ailleurs reçu aucune menace. L’article 301 du Code pénal turc,
qui réprime « l’insulte à l’identité nationale turque » , et dont ont
été victimes Hrant Dink ainsi qu’une cinquantaine d’intellectuels,
va-t-il être supprimé, comme le réclame Bruxelles ? À terme, cet
article sera modifié, mais le contexte – la proximité du scrutin
présidentiel – n’est pas favorable à cette réforme. Les extrémistes
nationalistes, très influents en Turquie, ne se laisseront pas faire.
* Paru en français en 2006 (Éditions de l’Aube).