Examen de conscience

L’Express
25 janvier 2007

Examen de conscience;
La chronique de Christian Makarian

par Makarian Christian

L’assassinat de Hrant Dink fait de la question arménienne le symbole
de la démocratisation de la Turquie

Hrant Dink était un ami de L’Express, où il s’était exprimé à
plusieurs reprises. Toujours pour défendre une vision élevée de la
vérité. Toujours pour affirmer qu’un citoyen turc irréprochable avait
le droit de s’affirmer irréductiblement arménien. C’est au nom de
cette rectitude, qui a permis à certains intellectuels turcs
d’admettre le génocide des Arméniens, que Hrant Dink,
fondamentalement légaliste, avait fait le pari de la démocratie en
Turquie.

Résultat: en juillet 2006, il était condamné en dernière instance à
six mois de prison avec sursis pour avoir simplement osé écrire dans
son journal, Agos, que les Arméniens devaient "se tourner maintenant
vers le sang neuf de l’Arménie indépendante". Pour cette phrase,
utilisée comme prétexte, il avait été reconnu coupable d’ "insulte à
l’identité turque", en vertu de l’inconcevable article 301 du Code
pénal. Avant d’obtenir le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk fut
condamné au titre du même article 301 pour avoir déclaré à un journal
suisse (!): "1 million d’Arméniens ont été tués… mais personne
d’autre que moi n’ose le dire." La condamnation de Pamuk fut annulée
en appel, tandis que celle de Dink fut confirmée. Hasard, ce dernier
était arménien. En agissant ainsi, l’institution judiciaire turque a
fait de lui une cible désignée. C’est maintenant à la Turquie de
procéder à son examen de conscience. A la nouvelle de l’assassinat,
le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré: "Les balles qui
visaient Hrant Dink nous ont tous atteints." Elan démocratique. Mais
Erdogan a aussitôt ajouté que "ce crime a été commis au moment où les
accusations arméniennes de génocide sont reprises dans certains
pays". Inflexion nationaliste. En clair, la Turquie profonde ne
supporte pas que la France puisse pénaliser la négation du génocide
arménien ni que le Congrès des Etats-Unis envisage de le reconnaître
officiellement. Faut-il que l’Etat turc se sente peu sûr de son droit
pour que 60 000 chrétiens arméniens puissent être perçus comme une
menace envers 70 millions de musulmans! Une chose est sûre: les amis
de l’assassin ont fait de la question arménienne le symbole même de
la démocratisation et de l’européanisation de la Turquie. Quelque
part, Hrant Dink a gagné.