Deux anthologies consacrees a la poesie armenienne

Le Monde, France
26 janvier 2007 vendredi

Deux anthologies consacrées à la poésie arménienne;
Les voix d’une nation

Au VIIIe siècle, Moïse de Khorène chantait son pays en le comparant
au corps d’une jeune fille – " Le fleuve avec ses rives est comme les
deux lèvres d’une bouche entrouverte… " Deux siècles plus tard,
autrement inspiré, saint Grégoire de Narek rédigeait, dans une langue
de feu, son admirable Livre des prières (dit aussi des Lamentations),
trésor de la poésie mystique chrétienne. Vahé Godel avait, il y a
quelques années, traduit et présenté un choix de l’oeuvre de Grégoire
(1).

Après ces auteurs-sources, la tradition poétique arménienne ne s’est
pas interrompue, mais diversifiée. Nahabed Koutchak au XVIe siècle et
surtout Sayat-Nova au XVIIIe, pour ne citer que les plus grands,
illustrent avec éclat une sorte d’instinct poétique lié autant à la
langue qu’au destin de la nation. L’anthologie de Vahé Godel, dont
une première édition avait été publiée en 1990, démontre que ce mode
d’expression n’a pas été délaissé par les dernières générations.
Simplement, les poètes nés au cours du siècle passé, témoins ou fils
de témoins, ont dû se lester d’un poids terrible de mémoire.

Une autre anthologie complète (et parfois recoupe) l’ouvrage
précédent en s’attachant uniquement aux poètes contemporains, tous
nés après la dernière guerre. Ce qui frappe le lecteur, c’est
l’étonnante liberté de ces poètes, qu’ils appartiennent à l’Arménie
(et donc, pour une partie de leur vie, à l’URSS) ou à la diaspora.

Le lyrisme et l’humour, parfois grinçant, le réalisme, l’autodérision
et en même temps le sentiment d’une forte identité, une emphase
bridée… ce sont quelques-uns des traits qui se retrouvent chez ces
poètes.

" Depuis une quinzaine d’années, écrit Mariné Pétrossian (dont deux
recueils ont été traduits chez Comp’Act), la poésie arménienne tourne
son regard "vers le bas", vers des réalités qui ont toujours été
considérées dans notre culture comme étrangères à la poésie. " Pas
d’exaltation nationaliste donc…

Nariné Avétian, née en 1977 : " Ce génie arménien, ignoré du reste du
monde, n’avait pas de chaussures/et son seul corps dégageait une
puanteur de chien./Je l’ai vu et je lui ai dit bonjour. "

P. K.

LA POÉSIE ARMÉNIENNEDu Ve siècle à nos jours Anthologie de Vahé
Godel. Ed. La Différence, 284 p., 25 ¤. AVIS DE RECHERCHEUne
anthologiede la poésie arménienne contemporaine Choix et traductions
collectifs (bilingue) Ed. Parenthèses, " Diasporales ", 334 p., 24 ¤.
(1) Odes et Lamentations, éd. Ad Solem, Genève, 2003. Edition
complète dans " Sources chrétiennes " (éd. du Cerf, 1961).Dans le
cadre de l’Année de l’Arménie, le premier volume d’un ouvrage
collectif, Arménie(s), vient d’être publié. Dirigé par Frédéric
Couderc, il constitue une sorte d’" autoportrait de l’Arménie et de
ses diasporas " (208 p., 30 ¤. ).

www.armenieplurielle.com