L’Impossible Inhumation D’Un Sans-Papiers D’Armenie

L’IMPOSSIBLE INHUMATION D’UN SANS-PAPIERS D’ARMENIE
Casiniere Nicolas De La Nantes Correspondance

Liberation, France
20 fevrier 2007 mardi

Un imbroglio bloque les obsèques d’Ashot Ghazarian, suicide en prison
sous un faux nom.

Le deuil de celui qui fut un sans-papiers armenien butte sur un
inextricable imbroglio de papiers francais. Mort le 29 janvier sous
le faux nom qui lui a servi a faire regulariser sa situation d’exile
en France, Ashot Ghazarian ne peut toujours pas etre porte en terre.

Procedures judiciaires, logique administrative des services de l’etat
civil et du consulat, tout s’oppose a laisser sortir cet Armenien de
la morgue et de France.

Pour l’administration penitentiaire, le corps retrouve etrangle par
un drap accroche a la television est celui d’Artur Grigorian, 31 ans,
detenu depuis le 19 novembre dernier. Pour qu’il soit inhume dignement,
sous son vrai nom, Anna a revele sa veritable identite, presentant
son vrai passeport et le certificat de naissance. "C’etait notre
secret. Il m’avait demande de ne rien dire, par securite pour nos
vies", dit-elle. Arrive a Nantes en 2001, le couple a deux enfants,
qui ont aujourd’hui onze et neuf ans et sont scolarises.

Mais lui est armenien et elle azerie, de surcroît mineure il y
a douze ans aux premiers temps de vie commune. Anna explique a
demi-mot que cette double appartenance est jugee insupportable par les
nationalistes armeniens, dans un pays où les tensions sont vives avec
l’Azerbaïdjan voisin. Se sentant "menaces par des militaires qui ont
fait la guerre", ils ont fui en passant par la Russie, pour arriver
en France en 2001. Sous le nom de Grigorian, il obtient un titre de
sejour, travaille comme peintre, taille la vigne… Jusqu’a ce qu’il
soit arrete en novembre pour une histoire de racket envers d’autres
ressortissants armeniens, ce qu’il a toujours nie.

Comparaisons. Chargee de verifier que les causes de la mort relèvent
bien d’un suicide dans une cellule de la maison d’arret de Rennes,
une juge d’instruction a ensuite voulu s’assurer de la veritable
identite de cet Armenien. Après l’autopsie, des prelèvements d’ADN ont
ete realises, mais pas encore recoupes avec les empreintes genetiques
des parents demeurant en Armenie. La procedure de comparaison d’ADN
impose un accord des autorites armeniennes, avant que les prelèvements
soient effectues, adresses en France, et analyses en labo. Ce qui
risque de prendre des semaines. Le plus simple serait d’autoriser
les parents a venir en France pour les obsèques, ce qui permettrait
d’accelerer les comparaisons. Mais le consulat de France a Erevan ne
leur delivre pas de visa, pour une raison administrative implacable :
pas d’acte de decès, pas d’autorisation d’aller en France. A Rennes,
le blocage est aussi simple : pas d’identite assuree, pas d’acte de
decès. Le corps reste en chambre froide.

Pour debloquer la situation, la mairie de Rennes a insiste auprès du
consul de France a Erevan, alors que le Quai d’Orsay a ete interpelle
par le consulat d’Armenie a Paris. Sans resultat. Vendredi, la juge
d’instruction rennaise a fait une demi-avancee, delivrant un permis
d’inhumer, mais sous le nom d’emprunt d’Artur Grigorian, le vrai nom
n’etant mentionne qu’a titre d’alias. Avec ce document, les parents
n’auront sans doute pas l’autorisation de faire le voyage en France.

Ils y croyaient pourtant, et avaient deja reserve un billet d’avion.

Le rapatriement est donc aussi impensable que l’enterrement
impossible. Depuis trois semaines, Anna attend qu’on lui rende le
corps de son compagnon, en tenant a ce que les parents le voient une
dernière fois. "Je ne voudrais pas qu’on ferme le cercueil avant",
dit la jeune femme.

Recoupement. Procureure adjoint de Rennes, Catherine Denis evoquait
jeudi dernier une possible "inhumation provisoire" en France, en
attendant les resultats de "l’analyse des papiers officiels, en
cours par recoupement d’empreintes digitales ou genetiques. C’est
l’obstacle a lever pour pouvoir delivrer un acte de decès. Ce n’est
pas de la mauvaise volonte de la justice. Sans certitude sur l’etat
civil, il peut y avoir prejudice d’ayant droit". Interpol et les
autorites armeniennes ont aussi ete interroges. "Donnez-moi son
corps. Il ne va pas revivre. Il est deja mort", dit Anna, epuisee par
tant de demarches encombrant un deuil impossible. Dans son pavillon a
l’interieur depouille, hormis des fleurs au sol et une bougie allumee,
Anna guette le moindre coup de telephone, face un portrait d’Ashot. Un
tableau realise par un peintre au lendemain de la mort.

D’après une petite photo d’identite.

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