ARMENIE-TURQUIE : UNE RECONCILIATION EN SUSPENS
par Guillaume Perrier
Le Monde
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17 Fev 2010
France
Quatre mois après la signature, en octobre 2009 a Zurich, d’un
protocole d’accord entre la Turquie et l’Arménie, sous le patronage
de la Suisse, l’espoir d’une normalisation rapide des relations entre
les deux voisins s’est déja envolé. Ni le Parlement arménien
ni l’Assemblée nationale turque n’ont encore approuvé le texte,
qualifié, a l’époque, d’"historique" par l’ensemble des diplomaties
mondiales.
Selon cet accord, les deux pays devaient établir des relations
officielles, inaugurer des ambassades et, a terme, rouvrir leur
frontière commune, fermée depuis 1993. Mais a Ankara comme a
Erevan, le processus est mis en suspens. L’Arménie a annoncé, le
12 février, que les protocoles ont été transmis au Parlement. Mais
elle a précisé que la ratification ne pourrait pas intervenir avant
que la Turquie ne se soit d’abord prononcée.
Passé l’enthousiasme de la signature, les négociations sont
entrées dans une phase marquée par des "déceptions réciproques",
selon l’analyste Aybars Görgulu. La Turquie, qui avait condamné
sa frontière avec la jeune République d’Arménie, en 1993,
en représailles a la sécession du Haut-Karabakh, une province
majoritairement peuplée d’Arméniens et rattachée a l’Azerbaïdjan
par Staline, réclame des contreparties pour sa réouverture.
"Sans une solution au Karabakh, nous ne pouvons pas ratifier les
protocoles", a lancé le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan,
fermant la porte a un accord rapide. Le ministre des affaires
étrangères, Ahmet Davutoglu, persiste a lier la réussite de ce
rapprochement a des concessions arméniennes sur le Karabakh, bien que
les accords d’octobre 2009 n’en fassent pas mention. Début février,
il a laissé planer la menace d’un échec si les négociations
n’étaient pas "menées de manière appropriée".
La Russie et les Etats-Unis exhortent Turcs et Arméniens a accélérer
leur rapprochement. Les grandes puissances veulent éviter un nouvel
embrasement du sud du Caucase, fragilisé par la crise géorgienne
de l’été 2008. Mais le conflit du Karabakh, gelé depuis seize ans
et qui a fait plus de 30 000 morts, entrave la pacification de la
région. En dépit de la médiation du groupe de Minsk – coprésidé
par la Russie, les Etats-Unis et la France -, les discussions ne
progressent guère.
En Azerbaïdjan, comme a Erevan, la question reste brÃ"lante. Le
président arménien, Serge Sarkissian, est originaire du Karabakh et
il en dirigeait les comités d’autodéfense, au début des années
1990.
En faisant marche arrière, la Turquie montre sa dépendance
vis-a-vis de Bakou. L’Azerbaïdjan, de langue et de culture turque,
est un allié traditionnel de la Turquie et un de ses principaux
fournisseurs de gaz naturel. Les initiatives du grand frère turc,
flirtant avec l’Arménie, ont jeté une ombre sur l’alliance. En
Turquie, l’opposition nationaliste et kémaliste est aussi montée au
créneau contre cette "trahison", appelant a la solidarité panturque
avec les Azéris : "Un peuple, deux Etats". Surtout, la richesse des
gisements de la mer Caspienne donne un argument de poids au clan
Aliev, au pouvoir depuis vingt ans en Azerbaïdjan. Le pays, a la
source de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et du gazoduc Nabucco,
s’avère stratégiquement incontournable. Bakou fournira 6 milliards
de mètres cubes de gaz a la Turquie, en 2010.
En Arménie, les réticences se sont renforcées et la sincérité de
la démarche de la Turquie est sérieusement mise en doute. L’accord
de 2009 prévoit la création d’une commission historique, chargée
d’examiner "de manière scientifique et objective" les pages sombres
de l’histoire. Mais elle est souvent percue par les Arméniens comme
une manoeuvre turque pour tenter d’atténuer la réalité du génocide.
Le 12 janvier, la Cour constitutionnelle arménienne a rendu un avis
favorable sur les protocoles signés en octobre. Mais elle a rappelé
qu’ils ne pourraient en aucun cas contredire la Constitution et la
déclaration d’indépendance arménienne qui mentionne "le devoir de
réalisation de reconnaissance internationale du génocide de 1915,
en Turquie ottomane et en Arménie occidentale". La Turquie juge
cette référence historique "inacceptable".
La question du génocide, que la position officielle turque qualifie
toujours de "massacres réciproques", pourra difficilement être
éludée, si Ankara souhaite une sincère réconciliation avec son
voisin. Pour le moment, la Turquie voudrait inciter l’Arménie a mettre
ses revendications en veilleuse. Comme chaque année, la diplomatie
turque se crispe a l’approche du 24 avril, la date anniversaire du
déclenchement du génocide de 1915, lancé par l’arrestation, a
Istanbul, de centaines de dignitaires arméniens. Ankara s’inquiète
du lobbying de la diaspora arménienne aux Etats-Unis et d’une possible
reconnaissance officielle par le Congrès américain.
Le 4 mars, le comité des affaires étrangères de la Chambre se
prononcera sur une résolution démocrate, qualifiant de "génocide"
les massacres de 1915. M. Davutoglu a manifesté son agacement a
James Steinberg, secrétaire d’Etat adjoint, le 6 février, a la
conférence de Munich sur la sécurité internationale. En 2007, un
vote du Congrès avait été évité au dernier moment, désamorcant
un risque de crise dans les relations américano-turques.
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/