La Croix , France
15 octobre 2004
Parlement. Jean-Pierre Raffarin repousse Ă plus tard le oui Ă la
Turquie. Un dĂ©bat sur l’Ă©largissement de l’Union europĂ©enne Ă la
Turquie Ă©tait organisĂ© hier Ă l’AssemblĂ©e nationale
BOISSIEU Laurent de
Exercice dĂ©licat pour Jean-Pierre Raffarin, hier, Ă l’AssemblĂ©e
nationale. Le premier ministre a, en effet, ouvert le débat sur la
candidature de la Turquie Ă l’Union europĂ©enne. Un Ă©largissement
soutenu par Jacques Chirac et la diplomatie française, mais contre
lequel s’est prononcĂ©e l’UMP. Tout au long de son intervention,
Jean-Pierre Raffarin a donc habilement joué sur les deux tableaux. La
demande de la Turquie n’est pas illĂ©gitime , a-t-il dĂ©clarĂ© Ă
l’attention des partisans de l’adhĂ©sion de cet Etat Ă l’Union
europĂ©enne, après avoir rappelĂ© que, depuis l’accord d’association du
12 septembre 1963, la Turquie en est membre associée. Dans le
prĂ©ambule de l’accord d’association, il Ă©tait d’ailleurs indiquĂ© que
ce dernier facilitera ultĂ©rieurement l’adhĂ©sion de la Turquie . Le
chef du gouvernement s’est ainsi clairement opposĂ© Ă un non sans
discussion, anticipé et prématuré .
Parallèlement, Ă l’adresse, cette fois, des opposants Ă l’adhĂ©sion de
la Turquie, Jean-Pierre Raffarin a affirmé clairement que son
adhĂ©sion Ă l’Union europĂ©enne n’est pas possible aujourd’hui, ni
demain, ni dans les prochaines années , insistant sur le fait que
quoi qu’il arrive, la Turquie ne sera pas membre de l’Union avant
2015 . Se voulant rassurant, le chef du gouvernement a ensuite
insistĂ© sur l’engagement de Jacques Chirac : La volontĂ© de la Nation
sera respectée puisque le peuple de France aura, par référendum, le
dernier mot. Une promesse répétée à la fin de son discours.
Enfin, Jean-Pierre Raffarin a affirmé que le processus de négociation
pourrait s’arrĂŞter Ă tout moment , mĂŞme si le Conseil europĂ©en
dĂ©cide, le 17 dĂ©cembre, d’ouvrir les nĂ©gociations d’adhĂ©sion. Cette
ouverture revient toutefois, de fait, Ă accepter la vocation
européenne de la Turquie, ce que dénient la droite souverainiste et
l’UDF. En prenant une telle position, le premier ministre se situe
donc sur une ligne proche de celle défendue à la tribune par
Jean-Marc Ayrault, prĂ©sident du groupe socialiste : pas d’opposition
de principe Ă un tel Ă©largissement de l’Union europĂ©enne, mais
l’exposĂ© de conditions aujourd’hui non rĂ©unies. Ni l’Europe ni la
Turquie ne sont prĂŞtes pour l’adhĂ©sion , a insistĂ© Jean-Pierre
Raffarin en concluant prudemment qu’au final, l’histoire tranchera .
Le chef du gouvernement, comme le président du groupe socialiste, a
Ă©galement insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© d’approfondir la construction de
l’Europe politique avant l’Ă©largissement Ă la Turquie. La prioritĂ©
aujourd’hui pour les EuropĂ©ens, c’est le vote de la Constitution,
c’est donc l’approfondissement de l’idĂ©e d’Europe politique , a
affirmé Jean-Pierre Raffarin. Plus catégorique, François Bayrou a
estimĂ©, au nom de l’UDF, qu’en soi une adhĂ©sion de la Turquie serait
un pas vers la dispersion de l’Europe car il n’y a pas d’unitĂ©
politique possible sans unitĂ© culturelle . Le prĂ©sident de l’UDF, qui
a redemandé la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie, a
toutefois centré son discours sur le refus du gouvernement
d’organiser un vote au Parlement sur la question, et pas seulement un
débat.
Le premier ministre n’a, en revanche, cette fois pas explicitement
évoqué la question religieuse. Dans un entretien au Wall Street
Journal, fin septembre, il avait en effet osé dire tout haut ce que
beaucoup d’adversaires de l’Ă©largissement pensent tout bas :
Voulons-nous que le fleuve de l’islam rejoigne le lit de la
dĂ©mocratie ? , s’Ă©tait interrogĂ© Jean-Pierre Raffarin. Ce qui lui
avait valu une réponse cinglante de Pierre Lellouche, un des députés
UMP favorables Ă l’adhĂ©sion, qui estime qu’il faut, au contraire,
tout faire pour que la rivière de l’islam se noie dans l’ocĂ©an de la
dĂ©mocratie et des droits de l’homme .
La question religieuse a, par contre, été évoquée, hier, pour être
évacuée, par la Conférence des Eglises européennes. Celle-ci,
regroupant la plupart des Eglises chrĂ©tiennes en dehors de l’Eglise
catholique romaine, a estimĂ© que l’adhĂ©sion de la Turquie n’Ă©tait pas
une question de différence religieuse . Son président, le pasteur
Jean-Arnold de Clermont, également président de la Fédération
protestante de France, a expliqué que les Eglises orthodoxe,
protestante, catholique, arménienne ne sont pas respectées
aujourd’hui en Turquie et que l’adhĂ©sion de cet Etat Ă l’Union
europĂ©enne ne pourrait se faire qu’ avec les critères de Copenhague
et donc le respect des minorités religieuses .
LAURENT DE BOISSIEU
Sur
Retrouvez le compte rendu du dĂ©bat sur la Turquie Ă l’AssemblĂ©e.
Mode d’emploi pour une adhĂ©sion europĂ©enne
Que signifient les critères de Copenhague ?
En 1993 et alors qu’un très grand nombre de pays de l’ancien bloc
soviĂ©tique d’Europe de l’Est cherchaient Ă entrer dans l’Union
européenne, réunis à Copenhague, les dirigeants des 15 Etats membres
de l’UE Ă©tablirent les critères minimums politiques et Ă©conomiques
que devait remplir un pays avant d’entreprendre toute nĂ©gociation
d’adhĂ©sion : L’adhĂ©sion requiert qu’il ait des institutions stables
garantissant la primautĂ© du droit, les droits de l’homme, le respect
des minoritĂ©s et leur protection, l’existence d’une Ă©conomie de
marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression
concurrentielle et aux forces du marchĂ© Ă l’intĂ©rieur de l’Union. La
partie Ă©conomique des critères de Copenhague n’est en rĂ©alitĂ©
examinĂ©e qu’en cours de nĂ©gociation d’adhĂ©sion.
La Turquie répond-elle aux critères de Copenhague ?
En décembre 2002, les dirigeants européens demandaient à la
Commission européenne de leur rendre un rapport pour la fin 2004 sur
le respect ou non par la Turquie des critères politiques de
Copenhague. Le 6 octobre dernier, la Commission considérait que la
Turquie répondait à ces critères sous réserve : que les réformes
lĂ©gislatives votĂ©es soient mises en pratique ; que l’irrĂ©versibilitĂ©
du processus de réforme soit confirmée sur une longue période ; que
les négociations soient stoppées ou suspendues en cas de violation
grave de ces critères et que sur l’ensemble du volet Ă©conomique Ă
examiner aucun chapitre ne soit fermĂ© tant que tous n’Ă©taient pas
adoptés.
Que va-t-il être décidé au sommet européen du 17 décembre à Bruxelles
?
· l’unanimitĂ©, les 25 dirigeants des pays membres de l’Union doivent
dire s’il convient ou non d’ouvrir des nĂ©gociations avec la Turquie
et, en cas de rĂ©ponse positive, Ă quelle date commencer. Le veto d’un
seul empêche toute ouverture de négociations. Aucunement tenus par le
rapport de la Commission européenne, ils peuvent alléger ou alourdir
les conditions pour la future pĂ©riode de nĂ©gociations qui s’ouvrirait
alors.
Mode d’emploi pour une adhĂ©sion europĂ©enne
Que signifient les critères de Copenhague ?
En 1993 et alors qu’un très grand nombre de pays de l’ancien bloc
soviĂ©tique d’Europe de l’Est cherchaient Ă entrer dans l’Union
européenne, réunis à Copenhague, les dirigeants des 15 Etats membres
de l’UE Ă©tablirent les critères minimums politiques et Ă©conomiques
que devait remplir un pays avant d’entreprendre toute nĂ©gociation
d’adhĂ©sion : L’adhĂ©sion requiert qu’il ait des institutions stables
garantissant la primautĂ© du droit, les droits de l’homme, le respect
des minoritĂ©s et leur protection, l’existence d’une Ă©conomie de
marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression
concurrentielle et aux forces du marchĂ© Ă l’intĂ©rieur de l’Union. La
partie Ă©conomique des critères de Copenhague n’est en rĂ©alitĂ©
examinĂ©e qu’en cours de nĂ©gociation d’adhĂ©sion.
La Turquie répond-elle aux critères de Copenhague ?
En décembre 2002, les dirigeants européens demandaient à la
Commission européenne de leur rendre un rapport pour la fin 2004 sur
le respect ou non par la Turquie des critères politiques de
Copenhague. Le 6 octobre dernier, la Commission considérait que la
Turquie répondait à ces critères sous réserve : que les réformes
lĂ©gislatives votĂ©es soient mises en pratique ; que l’irrĂ©versibilitĂ©
du processus de réforme soit confirmée sur une longue période ; que
les négociations soient stoppées ou suspendues en cas de violation
grave de ces critères et que sur l’ensemble du volet Ă©conomique Ă
examiner aucun chapitre ne soit fermĂ© tant que tous n’Ă©taient pas
adoptés.
Que va-t-il être décidé au sommet européen du 17 décembre à Bruxelles
?
· l’unanimitĂ©, les 25 dirigeants des pays membres de l’Union doivent
dire s’il convient ou non d’ouvrir des nĂ©gociations avec la Turquie
et, en cas de rĂ©ponse positive, Ă quelle date commencer. Le veto d’un
seul empêche toute ouverture de négociations. Aucunement tenus par le
rapport de la Commission européenne, ils peuvent alléger ou alourdir
les conditions pour la future pĂ©riode de nĂ©gociations qui s’ouvrirait
alors.
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